Avant, j'aimais avoir mal

Aujourd’hui, je vais vous raconter une petite histoire.

Avant, j'aimais avoir mal.

Oui, vous avez bien lu, j'aimais souffrir, tout à fait.

Mon premier souvenir de jouissance dans la souffrance remonte à mes 9 ans. Ce jour-là, alors que mon petit frère venait de naître, j'apprenais que ma maman pouvait être mortelle. Des larmes inondèrent bientôt mes joues de petite fille. Normal, vous allez me dire : quelle douleur intense de réaliser que l'on va, un jour, perdre ce qui nous est de plus précieux au monde... Mais quelle étrange expérience, également, que de ressentir ces émotions inconnues qui nous traversent.... J'en fus toute retournée. Mauvaises émotions certes, mais, si réelles, que je me sentais enfin exister. Alors que je ne comprenais pas bien ce qui se passait, cette peine si grande qui me transperçait les entrailles s'est, soudain, transformée en un plaisir malsain, me faisant sentir plus vivante que jamais.

Aussitôt accro à cette sensation aussi nouvelle que jouissive, je me rappelle, très distinctement, avoir demandé à ma mère, plusieurs fois, de me répéter qu'elle allait un jour mourir, me délectant, à chaque fois, de la douleur que cela m'infligeait. Jouir d'avoir mal, voilà un principe peu commun, qui ravit la petite fille torturée que, déjà, j’étais.

 

 

Peu de temps après, quelques mois à peine, les cigarettes, les joints et l'alcool apparurent dans ma vie, avant même mes premiers poils aux pattes. Et je revis-là, la même sensation de douleur me procurant du plaisir. Le picotement de la fumée dans la bouche, la nausée, les bad-trip, c’était si bon d'avoir mal. Évidemment, c'est tête la première, que j'y ai plongé.

Puis l'adolescence arriva enfin, et son lot de peines et de tortures avec. Il y eut bien-sûr les chansons tristes de Eminem, principalement que j’écoutais en boucle dans ma chambre, me rappelant avec plaisir ma vie bien merdique à moi aussi, bien que je n'en comprenais pas encore les paroles. Mais il y eut aussi, et surtout, les scarifications, qui me procuraient une sensation à la fois de soulagement et de pouvoir extrême.

 

La souffrance me rappelant que : si j’étais vivante, je pouvais très bien ne plus l’être la seconde d’après.

 

Tandis que je commençais déjà à être également accro à mon litre et demi de Coca quotidien si réconfortant, c'est aussi à cette époque que je démarrais les fantasmes principalement dirigés vers les mauvais garçons.

Alors qu'avant mes 10 ans mes fantasmes ne concernaient que le « si doux Gaël » mon amoureux depuis mes 4 ans me sauvant des méchants voulant m'attaquer, à l'adolescence (qui se matérialisa par nos déchirants adieux) ils prirent une autre tournure. Dorénavant, je rêvais de séquestration, de forcing et d’étranglements qui se transformeraient en belle histoire d'amour toxique des temps modernes. À 11 ans déjà, oui, c'est un peu tôt, vous en conviendrez.

Je ne mis d'ailleurs pas si longtemps que ça à les réaliser puisque, 8 ans plus tard, après moultes années à osciller entre « faire de la merde » et « essayer de sortir la tête de l'eau », je m'amourachais d'un dealer de cocaïne violent qui me frappa pendant près de 4 ans. À 19 ans, à peine femme, j’accédais enfin à l’histoire d'amour passionnelle dont j'avais toujours rêvé. Qu'il me frappe ? Évidemment, en surface, je détestais ça, mais, dans le fond, j'en redemandais, le provoquant même volontairement pour qu'il déverse sur moi toute la haine que je pensais mériter.

 

En parallèle, il y eut bien entendu toute cette cocaïne que je m'enfilais, qui me faisait si mal au cœur, au nez et aux articulations, mais que je prenais, tout de même, chaque jour que dieu faisait. Et même ma résilience, des années plus tard, lorsque j'eus enfin décidé de le quitter, je la voulus difficile et contraignante, ne m’autorisant pas une seule fois à en pleurer.

 

J’étais une guerrière, et une guerrière, elle souffre en silence, sans jamais rien demander.

 

Mais, même après m’être calmée, je n'ai pas arrêté d'aimer souffrir pour autant. Oh non ! J'ai juste trouvé d'autres manières plus acceptables de l'exprimer. Que dire de tous ces conflits que je déclenchais tout le temps, avec tout le monde, ces conflits qui, je le savais, allaient finir en crise, en pleurs et en souffrance, mais que je ne pouvais, tout de même, m’empêcher de démarrer ? Que dire de tous ces (nombreux) déménagements que je faisais toujours seule, sans jamais demander d'aide, ces énormes sacs que je portais dans les escaliers, les rues, les trains de banlieues et les RER, seule, toujours seule ? Que dire de ces histoires d'amour simples et belles que je ne pouvais m’empêcher de gâcher ? Puis de tous ces psychotropes que je prenais, sous prétexte de faire la fête ? Mais aussi, de ces heures interminables que je passais à bosser, sans m’arrêter, sans manger, sans boire, pour prouver au monde que j’étais endurante et, où, voulant toujours faire mieux, je portais des charges plus lourdes que celles des garçons pour leur montrer qu'ils n’étaient pas plus forts ?

Ces mêmes garçons à qui j'allais demander bien assez tôt de m'insulter, de me frapper et de m’étrangler « tu t’arrêtes juste avant que je meurs » je disais. Ne voyant pas le problème et traitant de faibles ceux qui refusaient.

 

 

Ah ! Souffrir ! Ca me permettait de montrer au monde à quel point j’étais forte, à quel point j’étais indépendante et endurante, à quel point on ne pouvait me faire tomber.

 

Mais un jour, à 33 ans, je suis tombée.

 

Et j'ai compris que je n’étais ni forte, ni endurante, ni la meilleure, mais juste complètement brisée. Tellement, que j'avais tout fait pour l'oublier.

Si brisée, que je m’étais construit une carapace en béton armé. Si apeurée qu'on puisse vouloir s'attaquer de nouveau à moi, que je montrais, avant même qu'on essaie, qu'on ne pouvait y arriver.

 

J'ai alors compris, que, contrairement à ce que je pensais, je n'avais aucune estime de moi. Ce n’était pas de l'estime pour moi que j'avais, mais de l'estime pour la fille forte que je prétendais être. Et cette fille ce n’était pas moi, la véritable moi, je la méprisais. Je la méprisais tant, que son corps n'avait aucun intérêt à mes yeux, et que je trouvais normal qu'on le maltraite. Je me détestais tant, je culpabilisais tant d’être la mauvaise personne que je croyais être, que je pensais de pas mériter qu'on prenne soin de moi, pire que je méritais tout ce mal que je ou qu'on m'infligeait. Alors, si, parfois, je pouvais même un peu oublier cette souffrance en souffrant encore plus dans les drogues, le sexe, ou le travail, alors, j'avais tout gagné.

 

 

Une fois que j'ai réalisé que je m’étais menti toute ma vie (et, donc, fait du mal, paradoxalement) pour me protéger, j'ai donc entrepris de véritablement m'aimer. Pas m'aimer à la travers les yeux des autres, pas m'aimer pour faire plaisir à quelqu’un me voulant du bien. Non ! M'aimer véritablement, dans mes beaux, comme dans mes mauvais cotés. Et la suite, vous la connaissez.

 

Depuis, j'ai appris à me connaître, à me pardonner et à être bienveillante envers moi. Même si il est difficile de se défaire de ses vieux démons, de ne pas retomber dans les solutions de facilité, à savoir : se faire du mal pour se réconforter, j'apprends à me ménager, à me respecter, à me poser les bonnes questions à chaque fois que je vais faire quelque chose qui pourrait avoir de mauvaises conséquences sur ma santé ou mon mental et à me demander si ça en vaut vraiment la peine.

 

Alors, oui, parfois, ça en vaut vraiment la peine, dans le sport par exemple, ou pour un projet qui nous tient vraiment à cœur, on peut se faire un peu violence, mais faut vraiment que le résultat nous apporte plus de bien que la souffrance endurée, sinon ça n'a pas d’intérêt. Mais la plupart du temps, non, on ne mérite pas de se faire du mal, et encore moins pour les autres. On mérite de prendre son temps et de se chouchouter.

 

Quand on ne respecte pas son corps, quand on ne comprend pas pourquoi on s'inflige autant de mal, dans les sorties, les relations toxiques, la malbouffe, le manque de sommeil ou encore la surcharge de travail, je pense qu'on devrait tous se poser la question : « suis-je bien certain de réellement m'aimer ? »


 

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