Avant, je ne ressentais rien
Aujourd'hui, je vais vous raconter une petite histoire.
Avant, je ne ressentais rien.
Bon OK, j’exagère, je ne ressentais pas rien, rien, mais pas grand chose, en vrai.
Me couper de mes émotions, je me rappelle très bien quand ça a commencé.
Je devais avoir 7 ou 8 ans et la vie me paraissait déjà bien trop difficile à supporter.
Je ne sais pas si c'est mon hypersensibilité ou les traumatismes endurés, ou si je suis juste une grosse faiblarde (et, ce n'est pas grave) mais franchement, mon enfance, je ne l'ai pas trouvée vraiment très, très gaie.
Bien que j'ai de merveilleux souvenirs, hein, tout n'est pas à jeter, je me rappelle surtout avoir beaucoup souffert, et à 8 ans donc, j'essayais déjà de tout oublier.
Chose que j'ai réussi à faire, notamment par la méthode Coué.
Dans mon lit le soir, je me répétais ce qui allait bien chez moi (j’étais gentille, j'avais des amis qui m'aimaient, un amoureux, de bonnes notes, et j’étais en bonne santé.)
Puis, juste après, je me rappelais tous les mauvais souvenirs de la journée, je les mettais dans une petite boite mentale et je jetais la clef.
C’était un peu l'inverse de mes listes que je faisais déjà comme une obsédée. Si, pour les choses à se rappeler, suffisait de penser à mon carnet (qui était plutôt des feuilles libres à l’époque, d'ailleurs), pour les choses à oublier, suffisait de se forcer à ne pas penser à ma boite de Pandore à moi, à me répéter que tout allait bien, et j'arrivais à m'endormir sans trop angoisser.
De la méchanceté des enfants entre eux, aux adieux avec mon amoureux, en passant par les abus, les nombreuses morts de mes nombreux animaux, la violence des films que je n’aurais pas dû voir, ou encore (et surtout) le sentiment de solitude, tout y était rangé.
Au-delà de ne plus avoir beaucoup de souvenirs, je ne m'autorisais donc pas à ressentir, car ressentir, signifiait avoir envie de crever.
Oui, alors, vous voyez le truc venir, n'est-ce pas ? Ça fonctionnait très, très bien jusqu'à ce que je me rappelle d'un truc par inadvertance, et hop, tout me revenait à toute volée.
MAIS, disons, qu'avec les années, ça marchait de plus en plus, et j'arrivais à, de moins en moins, y penser.
Jusqu’à ce que le mécanisme de défense finisse par plus me desservir que m'aider (ce qui fini toujours, et pour tout le monde, par, à un moment donné, arriver). Jusqu'à ce que je finisse par me couper totalement, et tout le temps, de tout ce que je ressentais.
Car le constat fût, qu'à l'entrée de l'adolescence, plus rien ne me touchait. J'étais devenue un robot au cœur de pierre (même si je faisais très bien semblant du contraire), sur qui tout (ou presque) glissait.
Alors, vous allez me dire, c'est plutôt cool de pouvoir affronter les problèmes de la vie sans émotion, ça sert de ouf quand il y a des situations difficiles à gérer (pas si inutile que ça ce mécanisme de défense en vrai).
Certes, mais ça l'est un peu moins, quand, par exemple, vous ne savez plus avoir peur, être triste, ou juste aimer. Du moins, quand il le faudrait. (Car, en réalité, on vit dans une peur, une tristesse et une dépendance affective latente, hein, mais juste, on n'arrive pas à ressentir ces émotions au moment où la situation se passe en vrai.)
De mes ruptures que je réglais après 2 ou 3 pleurs vite faits, aux agressions que je traitais comme un caïd de cité, en passant par ce grave accident de voiture qui ne m'a absolument pas touchée, je ne ressentais plus rien au moment où j'aurais dû le ressentir, plus aucun traumatisme ne m'effrayait.
Et je peux vous dire que c'est pas cool. Jusqu'à mes 33 ans, « je me sens vide » a été ma phrase préférée.
Le sentiment de vide, n'est que la résultante de notre affect dont on s'est volontairement coupé pour se protéger.
Alors bien-sûr, il est impossible de garder autant d’émotions en soi sans exploser, du coup, pour sortir un peu ce qui, en moi, grondait, je piquais assez régulièrement d'énormes colères injustifiées, je passais aussi toutes mes nuits à insulter et à frapper celui qui avait le malheur de dormir à mes côtés, mais, surtout, je me faisais du mal exprès.
Scarifications, mélancolie, drogues, relations toxiques, violence, comportements à risques, tout était bon pour me sentir exister.
Car on se fait du mal pour se punir ou pour oublier, mais également, pour ressentir des émotions qu'on a tant niées, qu'on a fini par les annihiler.
Mais, bon, puisque rien ne fonctionnait (normal, mon mécanisme de défense m'en empêchait, c'est le serpent qui se mord la queue, ou plutôt, le conscient et l'inconscient qui se battent continuellement), j'allais toujours de plus en plus dans les extrêmes pour ressentir, au point où j'ai failli me tuer.
Puis, un jour, j'ai fini (non pas par crever, mais) par craquer. Et ma carapace, mon masque, mes mécanismes de défense, appelez-ça comme vous voulez, se sont écroulés. Parce que je n'avais plus assez d’énergie pour les faire fonctionner.
Et c'est là que j'ai compris que si je ne ressentais rien ce n’était pas parce que j’étais née bizarre et qu'il me manquait une case (comme je l'ai longtemps pensé) mais parce que c’était comme ça que j'avais appris à gérer mes premiers traumatismes, en ne m’autorisant surtout pas à craquer.
Puis, voyant que ça fonctionnait plutôt bien j'ai fini par adopter ce fonctionnement pour toutes les situations que je vivais.
C’était devenue mon identité, quoi. J’étais celle qui gérais bien le pire, j’étais celle qui savait nier ses émotions quand il le fallait. Et qui avait fini, par extension, ou par habitude peut-être, ou par fierté mal placée, je ne sais pas trop, par nier quasiment tout ce qu'elle ressentait.
Celui qui ne ressent rien dans des situations où il aurait dû, normalement, avoir peur ou pleurer, est celui qui a appris à se couper de ses émotions parce qu'il a grandi dans un environnement qui ne l'autorisait pas à les exprimer.
Ça peut-être un enfant qui subit de la violence (physique ou psychique) s'il se met à pleurer, un enfant qui vit dans un pays en guerre où il faut toujours se tenir prêt, ou dans ma situation, quand on a un parent dont on doit s'occuper.
Et c'est là que j'ai capté que ce que je croyais avoir réglé ne l’était pas du tout en réalité, et que j'avais juste mis des pansements sur des blessures non soignées.
Notamment en utilisant le mécanisme de l'isolation, (merci les cours de psycha), qui est un mécanisme de défense nous permettant de séparer l'affect du souvenir, afin de mieux le supporter.
Sauf qu'un mécanisme de défense, bah, en vrai, c'est pas la solution la mieux adaptée à un problème donné. En fait, le mécanisme de défense, c'est un peu la solution de facilité, bancale et peu efficace sur le long terme, qu'utilise notre ego dans l'urgence quand il ne sait pas comment gérer, sainement, une situation si difficile à vivre qu'elle pourrait potentiellement le tuer. Oui, comme les antidépresseurs, voilà, tout a fait.
La vérité, c'est qu'au bout d'un moment, le mécanisme se retourne contre soi, car l'énergie qu'il nécessite finit par nous épuiser. Et, c'est là que vient le moment de, vraiment, de façon pérenne et saine, se soigner.
Ce qui passe par affronter le passé, en revivant les traumatismes un par un et en terminant le travail plus ou moins commencé.
Il existe pleins de méditations en ligne, par exemple, pour couper des liens affectifs anciens ou pour apprendre à reconnaître ses émotions cachées, la kinésiologie aussi vous fait revivre les moments marquants de votre vie pour y voir le positif, il y a des protocoles à suivre dans des livres axés sur la spiritualité, aller voir un ou des psy, bien-sûr, ou juste de se poser avec soi-même et de se forcer à y penser. Enfin, bref, il existe un milliard de méthodes pour faire ça, et encore pleins que je n'ai pas testées.
Alors, oui, c'est du taff, et c'est encore plus dur quand on a passé sa vie dans la solution de facilité (parce qu'on ne savait pas aussi, hein, faut se pardonner) mais, je vous jure, le résultat vaut mille fois tout le travail effectué.
Je ne vous cache pas que je parle au passé mais, qu'en vrai, je suis encore loin d'avoir renoué avec toutes mes émotions refoulées. Encore aujourd'hui, j'ai beaucoup de mal à ressentir au moment où il faudrait. Mais, en même temps, c'est pas grave, car le travail en lui-même est magnifique, parce que je découvre la vie comme un enfant qui apprendrait à marcher, et qui s’émerveille devant chaque nouvelle étape passée.
J'apprends à vivre vraiment, en déconstruisant tous mes mécanismes, en désapprenant à me surprotéger.
Par exemple, depuis 2 ans, je pleure de joie, devant une émotion nouvelle, ou juste parce que j'arrive un peu à m'aimer. Je pleure de joie, aussi, parce je découvre la beauté du monde, qu'avant je ne regardais pas, beaucoup trop ego-centrée. Je pleure de joie parce que j'ai réussi à me faire du bien, de façon saine, ou encore parce que j'ai fait un rêve qui m'a fait comprendre des choses, qu'avant, je niais.
Bon, après, je vis des moments plus durs, aussi, je ne nie plus mes ruptures, j'ai revécu, une par une, toutes celles que j'avais niées, je pleure donc beaucoup de tristesse ces derniers temps, mais, mon dieu, qu'est-ce que je me sens vivante, si vous saviez.
Et (petite référence à la chronique précédente), cela participe aussi au fait que je sois de plus en plus vraie.
Car renouer avec ses émotions c'est accepter de vivre la situation, au moment où elle se passe, dans son entièreté. C'est accepter de faire tomber son ego et d'avouer à quelqu’un qu'il nous a attristé (et non pas nier par fierté), c'est prendre des risques et vivre des échecs, c'est se montrer vulnérable, en colère, aussi, parfois (la vraie, pas celle qui cache la tristesse), c'est connaître la joie (la vraie, pas celle qui cache une excitation) c'est accepter ses peurs, c'est écouter son corps, apprendre à s’arrêter quand on se sent fatiguée, enfin bref, c'est vivre pleinement sa vie en laissant place à toute son humanité.
Renouer avec ses émotions, c'est accepter d'exister.
Allez, namasté.