Avant, j'étais une grosse rageuse
Pour cette première chronique de l'année, je vais vous raconter une petite histoire.
Avant, j’étais une grosse rageuse.
Mais bien, bien, grosse rageuse, la rageuse du genre rageuse enragée.
Le genre de rageuse qui manigance des stratagèmes machiavéliques dans le but de se venger de la voisine qui fait trop de bruit, qui monte tout un plan sordide pour faire payer un ex l'ayant quittée, ou encore, qui prend un malin plaisir à rabaisser quelqu'un qui aurait eu l'outrecuidance de la doubler dans la queue du supermarché.
Enfin, m'voyez le genre, quoi, la meuf h24 vnr contre la terre entière. OUI, voilà, la parisienne, tout à fait.
Alors, par « terre entière », j'entendais, bien entendu, seulement les personnes m'ayant fait du mal, hein, ça va de soi. Mais bon, dans ce monde de merde remplis de connards, ça voulait dire pas mal de monde quand même.
Dans la liste, vous trouviez, donc, en tout premier lieu, les instagrammeuses parfaites, les meufs parfaites tout court, et, globalement, toutes les personnes se plaçant éhontément et naturellement au dessus de moi. Ensuite, venaient les mecs qui m’abandonnaient, et ceux, évidemment, qui n'avaient même pas voulu tenter. Puis, à peu près tous les membres de ma famille ayant osé me juger un jour, les personnes ne pensant pas comme moi (et me le faisant savoir), les patrons malhonnêtes, les collègues inefficaces, mais également, les (très lentes et dangereuses) vieilles au volant, les racailles, les gens qui ne savent pas se mettre à droite sur l'escalator (c'est pourtant pas compliqué, merde !), les cons, les rageux (oui, comme moi, absolument) et, naturellement, nos chères institutions qui bafouent nos libertés.*
* Liste non exhaustive
Alors, du coup, comme je ne pouvais, vous en conviendrez, ouvertement me vnr contre la terre entière (parce que ça la fout mal au boulot, par exemple (ou devant un flic)), mais qu'il fallait quand même bien que je trouve une parade pour me défendre de l'offense commise, je me rassurais souvent toute seule, dans ma tête, en rabaissant mentalement toutes les personnes ayant osé déclencher mon courroux.
Oui, bah, écoutez, je ne sais pas pourquoi, mais ça me soulageait.
Pour les meufs parfaites, par exemple, je me disais (tout d'abord, que c’était une connasse, mais je ne sais pas si j’ai besoin de le préciser) qu'elle faisait semblant, que sa vie devait être ennuyeuse, que j’étais mieux qu'elle sur tel ou tel point, etc... Pour les cyclistes, que c’étaient des victimes, les flics, des misogynes, les collègues, des grosses feignasses, ou encore, les gens pas d'accord avec moi, des demeurés.
Mais sinon, pour les autres, ceux sur qui je pouvais agir, je m'autorisais bien souvent à me venger en direct. En usant de stratagèmes divers et variés.
J’étais la reine du regard méprisant, des accélérations dangereuses et de la tête haineuse en voiture, des gros soupirs d’exaspération quand on ne marchait pas assez vite, du ton agressif avec la personne m'ayant mal regardée, des phrases assassines à l'encontre de mon gouvernement sur les réseaux (sous couvert de militantisme en plus, méthode implacable et intouchable des plus vicieux d'entre nous), de l'ironie avec les petits cons jouant au même jeu, ou encore des cris et de la méchanceté sur mes proches l'ayant mérité.
Ah, que ça me faisait du bien de leur faire du mal !
Il ne faut quand même pas oublier que tous ces gens-là m'avaient attaquée.
J'agissais en toute légitimité !
Pendant 33 ans, j'ai donc ragé, jalousé, crié, mal regardé, méprisé, rabaissé, mais sans jamais, évidemment, dépasser la limite autorisée par la société. À savoir, frapper ou tuer (bien que ce n'était pas l'envie qui manquait).
Ce dimanche matin de février 2021, alors qu'on m'accusait d’être, encore une fois, trop dure avec l'un de mes proches (alors que je le faisais pour son bien, bien entendu), je vis rouge. Il faut dire que ce jour-là, j’étais particulièrement fatiguée.
Après 1 an de Covid, où l'on m'attaquait de toute part : institutions m’empêchant de respirer, famille ne comprenant pas mon mode de vie, petit-ami manquant d'empathie, ou encore, flics me poursuivant en toute illégalité (un jour je vous raconterai), je n'avais plus la force de me défendre intelligemment. J'avais passé 1 année entière à ne faire que ça, et ça m'avait épuisée.
Donc, quand cet ami m’agressa pour me prouver que j'avais tort, que je me défendis plus violemment qu'à mon habitude, qu'on me fit remarquer que j'avais un problème d'ego, puis que tout le monde s'accorda pour dire que, peut-être, je devrais me remettre en question, ce fût la goutte d'eau qui fit déborder le vase et je n'eus pas la force de respecter la bienséance.
Ce jour-là, toute la colère que je ne montrais, malgré tout, jamais dans son entièreté (car, je le rappelle, nous sommes dans une société civilisée) est sorti d'un coup, d'un seul. Mais pas comme d’habitude, pas à moitié par peur d’être jugée ou rejetée. Non, cette fois-ci, j'en avais plus rien à foutre. Fatigués de subir mon autorité, mes amis allaient de toute façon m'abandonner, je le sentais bien, alors j’ai fini de gâcher ce qu'il y avait à gâcher et j'ai tout lâché. En agressant, rabaissant et insultant l'intégralité de mes proches, tout en leur balançant d'horribles vérités.
Incomprise, j'ai, pendant des heures et des heures, hurlé, crié, pleuré, de rage, de colère et de désespoir, pour qu'il admettent (en vain) que je ne faisais que me défendre. Puis, les jours suivants, toujours dans la même optique de ce bon gros burn-out en règle, j'ai repoussé tout ceux voulant m'aider et fait payer à tous les coupables. Jusqu’à, évidemment, finir par me retrouver seule et complètement vidée.
Et vous savez quoi ? C'est exactement ce qu'il me fallait.
Car c'est comme ça que j'ai enfin réalisé que toute cette haine, toute cette violence que je déversais allégrement depuis 33 ans à qui osait m'affronter, venait, en réalité, de bien plus loin que l’agression du présent. Bien, bien, plus loin, tellement loin que j'étais incapable de m'en rappeler.
C'est quand - plusieurs semaines plus tard, toujours complètement seule et épuisée (et, donc, beaucoup plus à même d’écouter) - une inconnue bienveillante me fit remarquer qu'il grondait en moi une violence ancienne (provenant du souvenir d'une blessure que je refoulais soigneusement de mon esprit), que toutes mes croyances se sont effondrées.
Alors que j'avais toujours cru que je me battais en toute légitimité des offenses commises, que je défendais juste mon intégrité, mes valeurs ou ma sécurité, je comprenais que je me mentais à moi-même depuis toujours. Depuis toujours, je me servais de mini attaques (qui ne méritaient pas autant d'animosité) pour déverser une haine sous-jacente résultant d'anciennes colères jamais exprimées.
J'ai alors refait le film de ma vie et ai pensé à toutes les personnes sur qui j'avais aboyé. Les vieilles, les flics, les cyclistes, les meufs parfaites, mes ex... L'avaient-elles vraiment mérité ?
En fait, ne faisais-je pas exactement ce que je reprochais aux autres : répandre le mal et la violence, en attaquant de pauvres âmes imparfaites, probablement même pas conscientes d'avoir agressé ?
Finalement, mes victimes, n'avaient-elles pas ressenti la même chose que moi en retour : de l'attaque ? Et c'est pourquoi j'avais passé ma vie dans le conflit ?
Pire, étaient-elles, comme moi, des enfants traumatisés ? Se vengeant elles aussi (en se trouvant différentes formes de légitimité) du mal qu'un jour on leur avait fait ?
Tout d'un coup, ma vision, mon monde a totalement changé.
Car j'ai compris et pardonné. Et surtout, j'ai entrepris de changer.
Petit à petit, j'ai essayé de me comprendre, de soigner les blessures du passé, de me donner de l'amour, etc... et comme par magie, ma rage s'est envolée.
Aujourd'hui, je sais que faire du mal ne fera ni comprendre quelque chose à quelqu'un, ni ne le soignera et que c'était surtout des excuses que je me trouvais pour exprimer ma violence refoulée. Alors même que mon travail d'apaisement n'est pas encore terminé, et que mes anciennes pulsions reviennent parfois, maintenant, je réfléchis avant de m'emporter et je trouve d'autres façons, moins violentes, de me soulager.
Car maintenant, j'en suis persuadée, s'il doit y avoir une solution au mal ce n'est certainement pas le mal mais probablement l'amour, comme ça a pu sur moi, fonctionner.
Namasté.